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Floozman: épisode initial
aux figues* et au Riesling

* selon arrivage

par Bertrand Cayzac

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9e partie : Après le lavage de cerveau

« Avec une abondance scandaleuse, il apporte la délivrance. »

Fred Looseman a été l’évaluateur en chef de risques au Crédit Mondial ainsi que le président de la Commission pour la répression du blanchiment des capitaux. À présent, son travail consiste à réparer les guichets automatiques de banque.

Parfois il entend des voix qui l’émeuvent au point de pleurer. Comme son compte en banque déborde de l’argent de la délivrance, c’est à de tels moments qu’il se transforme en super-héros de la finance : Floozman.


Après le lavage de cerveau, Fred et Martine savourent un Riesling dans l’ombre tremblante des tilleuls. Partout où porte leur regard, sur le cours du fleuve comme dans les paisibles lointains de la plaine, rien de laid ne se peut apercevoir. Dans les vignes et les forêts et jusque par-dessus les toits des villages, la lumière s’emplit des verts qu’elle soutire joyeusement à la sève sucrée.

Mélanie et Siegfried apparaissent au bout de l’allée. Le soleil voilé par le feuillage leur fait des parures pommelées. C’est le moment que choisit Martine pour se confier.

« Vous savez, Fred, j’ai parfois l’impression que nous avons déjà vécu ce moment des milliers de fois. »

« Et le moment qui vient également ? »

« Oui... » répond Martine en rougissant. Ses omoplates esquissent ce brusque mouvement d’aile dont elle n’a pas pu se débarrasser en reprenant forme humaine.

« Eh bien moi, hier matin, avant le breakfast, j’ai été frappé par la moquette de l’appartement. Je l’ai déjà vue ailleurs... Elle me met mal à l’aise. C’est stupide, mais il me semble qu’elle est associée à une attente. On attend quelque chose de moi... Je ne vois pas qui et je ne chercherai pas... »

Mélanie et Siegfried prennent place à leur table.

« Si on s’évadait ? » dit-Mélanie à voix basse.

« Si vous voulez, mais pour quoi faire ? » répond Fred en souriant.

« Je vais vous expliquer. » Elle soupire. « Je sais tout maintenant. Notre piège va se refermer sur leur organisation. Dès qu’ils auront localisés cette bulle spatio-temporelle, les brigades d’élite de la gouvernance mondiale nous exfiltreront. »

« Notre piège ? Quel piège ? Quelle organisation ? »

« Vous ne vous souvenez plus de rien Fred, mais les agents de la police financière sont immunisés contre la suggestion. Nous sommes partiellement bioniques, savez-vous. Notre cerveau synthétique est équipé de nombreuses défenses. La reprogrammation était profonde mais le système d’alerte et de réinitialisation reptilienne de Siegfried nous a sauvés, vous pouvez le remercier. Il a prévenu la gouvernance puis il est venu me réveiller... Il faut agir, la stabilité financière est menacée ! ».

« La stabilité financière est menacée !!! »

« Ouiiii. Des sommes effrayantes sont injectées chaque jour par des circuits différents. Réveillez-vous ! Mais allons plutôt parler sur la corniche. Siegfried va opérer sur Martine. Quant à vous, Fred, vous feriez bien de nous suivre... Allez, venez. »

Ils se mettent en marche.

« Attention, nous croisons des gens, essayez d’avoir l’air normal ‘bonjour chez vous’, voilà, très bien, asseyons-nous dans ce petit square. A vous Siegfried »

Siegfried pose fermement ses mains à la base du crâne de Martine et la fixe avec une intensité numérique.

« Ah ! » fait Martine dans un petit cri. « Mais alors... alors, tout ce temps... »

« Nous sommes prisonniers d’une brane interstitielle. C’est très fort mais nous savons comment sortir de là. Je ne comprends pas encore comment les nains disposent d’une telle technologie ».

« Bon » reprend Mélanie. « La dame du fleuve sait certainement où se trouve la momie mais son organisation fait obstacle à nos efforts. »

« Une momie ? » demande Martine.

« Tout le Mana est désormais concentré dans la dépouille de Sophie, la femme du banquier maudit. Elle a péri dans la bataille de Scherwiller en 1525. Nous supposons qu’elle a été embaumée par les survivants du conseil éternel. Nous devons la trouver et la détruire. »

« Si on allait plutôt se baigner ? » demande Fred.

« Oui, je vois de quoi vous parlez » reprend Martine. « Rien n’a été consigné dans les chroniques mais les folkloristes ont connaissance d’une tradition orale qui relate des phénomènes inexplicables. Selon ces récits, Sophie a conduit l’armée à la victoire dans les premières heures du combat avec l’appui de puissances célestes.

« Dans la mêlée, les soldats de Sophie brassaient de prodigieuses richesses. L’alliage de leurs épées brillait d’un éclat surnaturel alors que dans l’armée adverse, le métal se faisait cassant, les boucliers friables. La légende dit aussi que les guerriers de Sophie pouvaient déraciner des sapins et projeter des vaches à plusieurs lieues tant leur force était grande. »

Fred s’ennuie visiblement. « Bon, je vois. Moi, je ne vais pas jeter de vaches. Je vais au casino. »

« Vous ne comprenez pas : vous n’avez pas le choix » fait Siegfried en le clouant du regard.

« Vous me fatiguez. J’ai l’impression de vous voir travailler. Je suis vieux. Pourquoi ne resterai-je pas tranquillement dans ce village ? J’ai des repas chaud, du vin et de la compagnie. Je peux m’asseoir sur un banc et contempler la beauté du monde. Je ne sais pas ce que j’ai oublié et je ne veux pas le savoir... »

« Fred, vous commencez à nous agacer. Vous comprenez bien que nous avons tous un travail et des responsabilités. Je paye pour votre contribution d’ailleurs ! » siffle Mélanie avant de poursuivre. « Pourquoi ont-ils perdu ? Que dit la légende ? »

« Sophie affronte son mari dans un combat à mort. Sur le point de périr, le banquier lui prend la vie grâce à une formule magique. Ensuite, le charme est rompu, les insurgés sont écrasés sans pitié. Dans un dernier assaut, une poignée d’hommes parvient à s’enfuir avec la dépouille de Sophie. Elle reposerait dans une crypte secrète. »

« Où est Fred ? » demande Martine. Mais Fred a disparu.

Le voilà qui court un peu plus loin. Il court, il court éperdument à flanc de colline, comme un gros faune frisé. Il hèle trois jeunes filles à demi nues qui passent en mini-moke sur la route en contrebas.

« Wellgunde! Woglinde! Flosshilde! Attendez-moi! »

Le petit véhicule s’immobilise et les filles lui font place en riant. Siegfried n’a pas le temps de les rattraper.

Martine les regarde s’éloigner vers le fleuve avec un sourire attendri. « Le pauvre vieux... »

* * *


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